Cover
Titel
Les peurs de Hollywood. Phobies sociales dans le cinéma fantastique américain


Herausgeber
Guido, Laurent
Reihe
Médias et histoire
Erschienen
Lausanne 2006: Editions Antipodes
Anzahl Seiten
275 p.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Rémy Pithon

Le cinéma de fiction, et tout particulièrement le cinéma fantastique, porte-t-il témoignage, si on le soumet à un décryptage adéquat, sur les tendances profondes d’un certain corps social à un moment donné de son évolution? La question a déjà fait l’objet de discussions nombreuses et nourries, en particulier dès la parution en 1947 du grand livre de Siegfried Kracauer, From Caligari to Hitler. Les chercheurs ont manifesté un intérêt marqué pour le cinéma américain, peut-être parce qu’il est celui d’un immense pays, mais surtout parce qu’une sévère emprise sociale, morale et juridique aurait limité l’expression explicite de fantasmes, de craintes ou de pulsions, et les aurait refoulés dans une métaphore fictionnelle.

C’est à quelques aspects de cette vaste question qu’est consacré l’ouvrage de Laurent Guido et de la dizaine de collaborateurs qui ont travaillé sous sa direction. Dans son chapitre introductif, Laurent Guido insiste avec raison sur l’approche qu’il souhaite: non celle de la sociologie du cinéma, mais celle de l’histoire des représentations. Et la quatrième de couverture proclame une volonté d’«associ[er] l’analyse des films à l’histoire culturelle». A vrai dire, la plupart des études ainsi rassemblées portent plus sur la détection du sous-jacent que sur son interprétation, et que sur l’intégration de l’acquis éventuel dans la connaissance d’une époque déterminée. Ou, pour le dire en d’autres termes, on trouvera dans ce livre des éléments neufs certes, mais à l’état brut; reste à choisir ce qui relève du domaine de l’histoire, et à l’élever au statut de «document historique».

La lecture de l’ensemble des contributions donne l’impression que les collaborateurs n’ont pas tous et toujours respecté scrupuleusement les limites ou l’orientation que Laurent Guido avait souhaitées. Il est donc assez malaisé de se faire une idée synthétique et claire des résultats, ce qu’on sait être un risque inhérent à tout ouvrage collectif de ce genre. Mais cela s’explique aussi à cause de l’absence manifeste de formation d’historien dont témoignent plusieurs des collaborateurs, qui, abordant l’histoire des Etats-Unis, s’en tiennent souvent à quelques vagues références: à la fameuse «mauvaise conscience» refoulée découlant des guerres indiennes, à la guerre froide, à l’intervention au Vietnam, aux récentes attaques terroristes, voire aux options traditionnellement attribuées aux deux grands partis et à quelques présidents; en d’autres termes, à l’histoire américaine du 20e siècle vue d’Europe, de manière passablement réductrice, et sans qu’en soit prise en compte la grande complexité. Dans cette optique, si quelques contributions sont fort prudentes, et témoignent d’une solide compétence, d’autres se révèlent méthodologiquement et scientifiquement expéditives: il ne suffit par exemple pas de distribuer les qualifications de «fascisant», de «fasciste», de «réactionnaire » ou d’«anarchis[t]e de droite» pour écrire de l’histoire. Et force est de constater que les auteurs qui se laissent aller à ces facilités sont aussi ceux dont les connaissances et la fiabilité apparaissent les plus fragiles.

Réticences d’historien devant un livre qui se révèle par ailleurs fort riche. D’abord par une très vaste connaissance des travaux américains dont il prend très honorablement la suite. Et aussi par la diversité des approches, même si elle est parfois assez déroutante pour qui est quelque peu réservé sur le recours insistant à Freud, à Lacan ou aux gender studies. L’amateur de cinéma fantastique, de films d’horreur ou de films-catastrophe sera comblé, spécialement s’il s’intéresse à la production américaine des trente dernières années, qui font l’objet de la grande majorité des contributions, quand bien même la période prise en considération est longue: du début des années 30 jusqu’à nos jours, les années 40 restant cependant peu présentes. Les travaux les plus stimulants pour l’esprit et les plus convaincants sont cependant ceux qui concernent deux classiques des années trente, sur lesquels on croyait que tout avait été dit et écrit: The Invisible Man (James Whale, 1933), à propos duquel Laurent Guido se livre à une analyse extrêmement fine de l’utilisation d’une «voix sans corps»; et King Kong (la version de 1933, due à Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack), auquel François Bovier consacre une étude passablement jargonnante, mais riche de propositions de lecture, sur la base d’un examen critique très documenté des multiples interprétations que le film a suscitées dans le passé.

Sur un plan plus général, on peut regretter que quelque chose d’essentiel n’ait pas été abordé. Dans son introduction, Laurent Guido cite (p. 8) une affirmation, effectivement fondatrice, de Kracauer: «Les films fantastiques reflètent spontanément certaines attitudes symptomatiques du malaise collectif»1. Mais deux éléments de cette formule sont pour le moins discutables: la notion de «reflet» reste conceptuellement assez vague; quant au caractère «spontané» du processus, il semble exclure toute intentionnalité, ce qui est très limitatif, et souvent inexact. Mais peut-être la prudence avec laquelle ces deux débats ont été évités dans le livre est-elle justifiée par le souci de ne pas donner à une discussion théorique une place excessive. Encore eût-on souhaité que cela fût au moins signalé.

On le voit: malgré les réserves que peut faire celui qui, tout en étant grand amateur de films et historien impénitent du cinéma, n’en reste pas moins d’abord un historien «tout court», Les peurs de Hollywood invite à la réflexion et à un autre regard sur la société américaine contemporaine, ses craintes, ses fantasmes et – sans doute – ses comportements collectifs. En cela, le livre apporte beaucoup, quand bien même il n’est ni le premier ni le seul du genre. Il intéresse par la diversité même des approches proposées, ouvrant ainsi de nombreuses perspectives de recherche.

1 D’après la traduction française: Siegfried Kracauer, De Caligari à Hitler. Une histoire psychologique du cinéma allemand, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1973.

Citation:
Rémy Pithon: Compte rendu de: Laurent Guido (sous la dir. de): Les peurs de Hollywood. Phobies sociales dans le cinéma fantastique américain. Lausanne, éditions Antipodes, 2006. Première publication dans: Revue suisse d’histoire, Vol. 58 Nr. 3, 2008, pages 367-369.

Redaktion
Veröffentlicht am
03.02.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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